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Chantal Delsol : La France est un pays de jacqueries. Et pour des raisons précises.

2023-09-20
Temps de lecture 5 min

 

Francesco Giubilei: Comment la France a-t-elle pu en arriver là ? Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné dans le modèle français ?

Chantal Delsol: La France est un pays de jacqueries. Et pour des raisons précises. C’est un pays où tout est centralisé, où toute décision doit venir d’en haut, et où par conséquent, depuis des siècles (bien avant la révolution, il suffit de lire « L’Ancien Régime » de Tocqueville), les citoyens sont infantilisés. Un enfant c’est cela : il attend tout d’en haut et il passe son temps à réclamer, à s’indigner parce qu’il n’a pas assez, et à se révolter s’il le peut contre son bienfaiteur. La France est un pays qui, pour cette raison, va de jacquerie en jacquerie. Cela ne signifie pas que rien n’est grave et qu’il suffit de dormir en attendant le prochain épisode. Le pays s’y épuise. Le lien social se brise. La confiance citoyenne se perd.

Dans l'un de vos ouvrages les plus connus, « La fin du christianisme et le retour du paganisme », vous affirmez que nous vivons « un déclin dû à l'épuisement, à la barbarie et à l'annulation des cultures ». Dans quelle mesure cette perte d'identité affecte-t-elle les manifestations d'aujourd'hui ?

Chaque jacquerie a ses motifs, liés à l’actualité du moment. La révolte de mai 68 était une récusation de l’ancienne autorité parentale, jugée trop sévère, et des anciennes mœurs encore dominées par l’autorité de l’Eglise. Aujourd’hui, il me semble que la révolte est due à deux réalités qui se rejoignent. D’abord le chambardement de la famille, qui ne sait plus éduquer l’enfant à la liberté – car cela demande, bien plus que la tendresse, qui est pour ainsi dire instinctive, énormément de présence et d’efforts de la part des deux parents. Ensuite, une forte immigration qui en grande partie ne veut plus de l’intégration à la culture française : or il s’agit d’une immigration musulmane, et cela change tout. Pourquoi ? Parce que les familles musulmanes n’éduquent pas leurs enfants à la liberté, elles n’ont pas cette tradition, elles ont un Dieu autoritaire et des régimes autoritaires. C’est dans les démocraties qu’il faut éduquer les enfants à la liberté, pour en faire des citoyens. Ainsi, les désastres de la famille et l’importance de la population musulmane se conjuguent pour susciter des enfants violents et révoltés.

Existe-t-il un lien entre les manifestations et l'islam radical, comme l'ont écrit certains commentateurs ? Ou bien la religion n'a-t-elle rien à voir avec tout cela ?

A mon avis, la religion n’a un rapport avec ces événements qu’à travers sa tradition éducative. Je précise donc ce que j’ai dit plus haut à ce sujet. Dans les pays occidentaux, nous n’avons pu créer des démocraties que parce que nous avions un Dieu qui confère la liberté, et logiquement, une éducation à la liberté donnée dans les familles – c’est-à-dire qu’on apprend à l’enfant l’autonomie, il va donc pouvoir devenir citoyen. Ce n’est pas un hasard si la démocratie est née dans les pays monogames : il est très difficile d’éduquer un enfant à la liberté dans un système de polygamie (islam) ou de communauté (Afrique ancienne). Il y a partout des régimes autoritaires dans les pays musulmans, ce qui correspond avec un Dieu autoritaire et des systèmes polygames. L’éducation musulmane, qui est faite pour des régimes autoritaires, ne correspond pas à la société française qui, étant une démocratie, exige des enfants qui « s’empêchent » (comme dirait Camus).

Peut-on dire que les manifestations en France témoignent de l'échec du multiculturalisme ?

Oui, on peut le dire… Mais je ne sais même pas si l’on peut parler d’échec là où il n’y a eu ni désir ni tentative. La France n’est pas un pays fait pour le multiculturalisme, et elle n’en veut pas. Elle est toujours la dernière à refuser le voile musulman dans les écoles, par exemple. Elle veut un modèle unique, et pour elle, le modèle « républicain » vaut pratiquement pour une idéologie. Le problème, c’est qu’en même temps, elle ne fait pas l’effort d’intégrer les populations immigrées. Il y a là une contradiction faite pour susciter l’explosion.

Vous êtes l'un des signataires de la déclaration de Paris "Une Europe à laquelle croire" rédigée en 2017. Quelle est la pertinence de ce document et dans quelle mesure est-il prémonitoire par rapport à ce qui s'est passé ? 

Je pense que ce document n’a eu aucun impact. Nous sommes quelques-uns à répéter sans relâche que l’institution européenne devrait accepter son histoire au lieu de prétendre s’enraciner dans le seul avenir – comme si l’on pouvait s’enraciner dans l’avenir !! Malheureusement, dans ces circonstances, on n’est prémonitoire que par les désastres, parce que ce sont eux qui montrent à quel point le projet européen s’est trompé dans son idéologie. Cas exemplaire : la guerre en Ukraine. Nous avons été bercés pendant cinquante ans par les âneries de « la démocratie comme fin de l’histoire » (Fukuyama, repris partout), ou par « transformer l’ennemi en voisin, plus de guerre » (Beck), et j’en passe. La guerre en Ukraine nous ramène brutalement à la réalité du monde. Autre phénomène : la multiplication des démocraties national-conservatrices en Europe : Hongrie, Pologne, Italie, Suède etc, qui manifestent clairement un désir d’enracinement et d’incarnation, et un rejet de l’Europe désincarnée et utopique.

Comment les millions d'immigrés et d'enfants d'immigrés de la nouvelle génération peuvent-ils coexister pacifiquement avec les Français ?

Ils peuvent tout à fait coexister : d’abord s’ils sont soumis aux mêmes lois les uns et les autres. C’est un minimum, mais qui n’est pas vraiment appliqué. Il n’est pas rare que dans les lycées, les jeunes musulmans définissent le programme étudié en classe selon les exigences de leur religion. La coexistence devient difficile avec les dernières générations d’immigrés musulmans. Les premières générations voulaient s’intégrer à la France et faisaient tout pour cela. Maintenant, nous avons des générations qui haïssent la France et qui ne cherchent pas du tout à s’intégrer, mais au contraire à détruire les lieux pour ensuite y prendre le pouvoir. Pourquoi ce changement ? Et pourquoi cela n’est-il vrai que pour les rabo-musulmans, et jamais pour les Asiatiques, qui s’adaptent parfaitement et se fondent dans le pays sans jamais poser problème ? Une multitude de facteurs culturels et historiques entrent en ligne de compte.

Y a-t-il un espoir pour l'avenir de la France ? Ou pensez-vous que nous avons atteint un point de non-retour ?

Je crois que nous sommes dans une très mauvaise passe, parce qu’une partie des Français ne va plus accepter de se laisser faire, et il n’est pas impossible que la prochaine fois, ce soient des citoyens ordinaires qui prennent leurs fourches contre les émeutiers (il y a eu ces derniers jours déjà deux cas de ce type). Ce qui s’appellerait un début de guerre civile… Il n’est pas impossible non plus que les électeurs appellent la prochaine fois un régime bien plus autoritaire. La démocratie est débonnaire, mais elle ne peut pas tout permettre.

 

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