Octobre 2021. Au cloître des Carmelites, sur les hauteurs de Buda, Viktor Orbán reçoit des journalistes proches du Fidesz pour une discussion en off. Tout le monde s’inquiète alors de l’union de six partis d’opposition et de leur candidat fraîchement élu aux primaires, Péter Márki-Zay, qui s’annonce être une menace pour les élections du printemps 2022. Mais du haut de sa terrasse d’où la vue surplombe Pest et le Parlement, Viktor Orbán ne s’inquiète pas pour la prochaine élection. « 2022 ? Aucun problème. C’est 2026 qui va être un défi… »
Une réélection facile…
Et en effet, 2022 n’aura pas été une élection difficile pour Orbán. Rapidement, le candidat de l’opposition unie, le libéral progressiste Péter Márki-Zay, a montré ses limites. Bon candidat à une élection locale en 2018, son manque d’expérience et sa communication à l’américaine – il a passé cinq ans en Amérique et est proche des Démocrates états-uniens – ainsi que la désunion au sein de la coalition de gauche ne lui auront pas permis d’être à la hauteur pour une élection nationale, malgré le soutien de tout le bloc progressiste occidental et de tous les médias hongrois d’opposition.
Le début de la guerre en Ukraine, fin février, sonne le glas de la campagne de la gauche. La communication est hésitante, hasardeuse, contradictoire, peu convaincante. On sent que le manque d’information, la difficulté de se coordonner au sein de la coalition et l’organisation bancale de l’équipe de campagne empêchent Márki-Zay de se faire entendre et de convaincre. En face, Orbán adapte sa campagne du jour au lendemain, et toutes ses troupes sont à l’unisson. C’est que le Fidesz a un appareil efficace de communication et des troupes disciplinées constituées de vétérans de nombreuses campagnes électorales à succès au cours des quinze dernières années.
Les affiches de campagne sont remplacées début mars : Orbán apparaît en plan poitrine, veste noire de type militaire, visiblement sur le terrain avec le regard concentré au loin et sûr de lui. Sur l’affiche, on peut lire « préservons la paix et la sécurité de la Hongrie ! ». Le ton est donné, sans hésitation. La communication des membres du parti est alors complètement réorientée sur la sécurisation de la minorité hongroise d’Ukraine, de la préservation des intérêts nationaux en particulier en matière énergétique, et sur la volonté de garder la Hongrie et les Hongrois en dehors de tout conflit armé.
À gauche, l’atlantisme forcené de la tête de file de l’opposition unie la pousse à faire du zèle dans le sens opposé. « Si l’OTAN envoie des soldats, nous devrions en envoyer aussi ! », « Pour les jeunes, le sang est plus important que le pétrole ! », autant de phrases très mal perçues par le public hongrois, inquiet du retour de la guerre à ses frontières après tout juste 20 ans et les guerres de Yougoslavie.
L’écart se creuse dramatiquement entre Viktor Orbán, revêtu d’un aura de protecteur de la paix et de la patrie, et Márki-Zay, qui apparaît de plus en plus, au fur et à mesure des abandons et des coups de poignards dans le dos de la part de ses coalisés, comme la victime expiatoire prévue d’une défaite inévitable.
Le 3 avril 2022, la coalition de gauche qui, six mois auparavant, se voyait comme l’arme ultime pour détrôner Viktator, subit une défaite cuisante et sans appel. Ensemble, les six partis d’opposition ont perdu environ 900 000 voix par rapport à leurs scores cumulés en 2018. Orbán triomphe et remporte, pour la quatrième fois consécutive, les deux-tiers du Parlement.
…mais une année difficile
Décriée comme pays xénophobe du fait de son opposition assumée à l’immigration clandestine extra-européenne massive, la Hongrie n’a pas été troublée par l’afflux massif de réfugiés en provenance d’Ukraine. Ils sont pourtant un million à avoir fui vers la Hongrie en 2022, mais cela n’a à peine été remarqué par les Hongrois ne vivant pas près des gares. Il faut dire que d’une part, à peine quelques dizaines de milliers de citoyens ukrainiens sont restés en Hongrie, et d’autre part, il s’agissait essentiellement de vrais réfugiés. Femmes, enfants, et vieillards composaient l’essentiel des demandeurs d’asile. Leur attitude polie, patiente, reconnaissante et respectueuse des règles locales a permis aussi bien aux autorités qu’aux associatifs d’organiser parfaitement leur accueil, avec l’assentiment général de la population hongroise.
Non, ce n’est donc pas l’afflux massif de réfugiés qui a posé problème, en 2022, à Viktor Orbán.
Après deux ans de folie covidiste, à laquelle le gouvernement hongrois a pris part – certes, sans zèle – portant ainsi un coup très dur aux réserves monétaires du pays qui ont été utilisées pour atténuer les effets du sabotage de l’économie imposé de l’extérieur, la Hongrie est à nouveau exsangue après une décennie d’assainissement de l’économie et de croissance remarquable.
En 2018, Orbán avait publiquement parlé de l’arrivée imminente d’une crise économique majeure. Par voie de conséquence, il a tenté de préparer la Hongrie à ce tsunami. Mais si la Hongrie fait beaucoup parler d’elle sur le plan politique, sa réalité économique est bien plus modeste que son image à l’international.
La diversification des partenariats voulue par Viktor Orbán pour diminuer la domination occidentale sur l’économie hongroise subit un revers terrible avec les sanctions contre la Russie. La monnaie nationale, le forint, connaît en 2022 une inflation déroutante. En janvier, le taux de change avec l’euro est à 1€ pour 355 Ft, et la dégringolade s’accentue pour atteindre 1€ pour 430 Ft mi-octobre, avant d’être un peu amélioré en fin d’année avec un change à 1 € pour 400 Ft.
Bien que de l’école libérale, Viktor Orbán n’en reste pas moins un politicien habile qui connaît bien son électorat. Mi-janvier, il annonce, pour lutter contre l’inflation menaçante, mettre en place en des prix gelés sur certains produits de base (sucre semoule, farine de blé, huile de tournesol, cuisse de porc, carcasse de poulet et lait de vache). Quelques mois à peine après un gel des prix de l’essence pour les particuliers à plaques hongroises.
L’été, c’est le système d’auto-entreprise KATA – créé par Orbán dix ans auparavant pour assainir l’économie – qui est liquidé sans préparation de l’opinion publique et à la surprise même de membres du Fidesz, le parti de Viktor Orbán. Signe inquiétant. À l’automne, les ministères ont ordre de ne plus effectuer de dépenses en dehors des salaires.
Enfin, le vrai coup dur arrive au l’été également : avec le bouleversement des prix de l’énergie consécutif aux sanctions européennes contre la Russie, Orbán est contraint de renoncer en partie à son programme de réduction des prix sur le gaz et l’électricité. Mesure phare de son mandat 2010-2014, les particuliers hongrois bénéficiaient d’un gaz et d’une électricité particulièrement bas, l’Etat prenant en charge une partie du coût. Désormais, un palier est fixé jusqu’auquel les tarifs préférentiels sont appliqués. Au-delà, le prix du marché est appliqué…
La rentrée de septembre est donc morose. À cela s’ajoute l’annonce du décalage de vacances scolaires pour limiter la présence des enfants dans les écoles lors des moments les plus froids de l’année… afin de réaliser des économies sur le chauffage. Les enseignants se lancent alors dans une série de contestations, les manifestations se multiplient et une grève est même entamée. Il faut dire qu’avec l’inflation, leurs salaires particulièrement bas deviennent intenables.
Le gouvernement recule et annonce des augmentations significatives de salaires sur les années à venir. Une première augmentation de 10 % est annoncée pour fin 2022, qui devrait être suivie par d’autres, plus importantes, à l’avenir… mais l’argent vient à manquer alors que l’éducation nationale va devoir dépenser littéralement dix fois plus pour le chauffage cet hiver.
Avec une inflation de l’alimentaire qui avoisine les 50 % sur l’année, et beaucoup plus pour certains produits (de nouveaux gels de prix sont annoncés à l’automne sur les œufs et les pommes de terre), tout le monde commence à s’inquiéter tandis que les boutiques qui ont survécu au covidisme commencent à fermer.
Dans ce contexte, l’argent de l’UE est nécessaire. Bien que dû, l’UE le retient pour faire pression sur la politique hongroise. Le bras de fer dure depuis plus d’un an et il faudra bien lâcher certaines choses pour l’avoir. Ceci explique aussi en partie la stratégie d’Orbán de bloquer au maximum les mesures anti-russe et pro-ukrainiennes, afin d’avoir à son tour des cartes à jouer dans ce bras de fer et avoir une chance de négocier. Le gouvernement polonais, dans une situation similaire à bien des égards, mais qui en plus, craint pour sa réélection à l’automne 2023, lâche beaucoup plus à l’UE, et d’ailleurs, en Hongrie, on craint de se retrouver isolés et à la merci de Bruxelles si la Pologne venait à faire défaut.
Pendant ce temps, alors que l’opposition de gauche s’est effondrée et est totalement démoralisée, un autre danger pointe le bout de son nez pour Orbán : les nationalistes de Mi Hazánk, parti issu du canal historique du Jobbik – devenu un parti populiste pro-UE –, avoisinent les 10 %. Tout juste entrés au parlement en 2022, notamment grâce à leur opposition frontale aux mesures covidistes, ils évitent les attaques systématiques et se placent volontairement dans une démarche de critique constructive, sachant soutenir le gouvernement dans les votes sur certains sujets, mais attirant l’attention sur les contradictions et les compromissions du gouvernement sur d’autres sujets. Le tout en maniant avec une grande habileté les réseaux sociaux où certains de leurs vidéos sont vues par 12 % de la population nationale.
Pour Orbán, 2023 ne sera pas une synécure.
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