Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie et la solidarité dont ont fait preuve les Polonais envers les Ukrainiens, les articles négatifs de la presse française à l'encontre de Varsovie ont considérablement diminué. Pendant près de sept ans, les médias français ont laissé croire que la Pologne était devenue un pays autoritaire « ultra-nationaliste », peu importe que les élections y soient libres, légitimes, légales et régulières, qu'aucune manifestation n'y ait jamais été interdite et qu'aucune personne n'y ait été blessée, que personne ne soit emprisonné pour ses opinions, que les deux tiers des médias de masse critiquent quotidiennement le gouvernement, et que de nombreux membres du parti au pouvoir aient lutté pour la démocratie contre le totalitarisme en risquant leur vie.
Certes, le gouvernement polonais n'est pas « progressiste », mais cela n'empêche en rien qu'il soit démocratique. Sinon, comment qualifier Adenauer, Churchill, de Gaulle ou encore Schuman, qui, même avec la plus grande mauvaise foi du monde, ne peuvent être qualifiés de progressistes ? En réalité, comme l'a très justement écrit la vice-présidente de l'Association française de droit constitutionnel, Anne-Marie Le Pourhiet, les juges et dirigeants européens adoptent une « démarche idéologique déguisée en défense de l'État de droit », ce qui pose la question de savoir si l'on a encore « le droit de choisir un gouvernement conservateur en Europe ? »
Français, habitant la Pologne depuis 1999, juriste de formation, commettant des analyses dans les médias français et polonais, je peux vous assurer que de nombreuses informations négatives que vous avez pu lire sur ce pays ont été manipulées et souvent purement et simplement inventées. Chaque fois que j'ai enquêté sur l'origine de ces fausses informations, dans au moins la moitié des cas, elles provenaient de réseaux d'anciens communistes ou de « correspondants » ayant travaillé à Moscou. Dans une partie des cas restants, on retrouve le milieu souverainiste français « russophile » - tel le magazine « Marianne », dont la journaliste, chargée de pondre régulièrement des articles dénigrant la Pologne, est spécialiste de la « russophobie » (cela ne s'invente pas). Rappelons que le propriétaire de « Marianne », Daniel Kretinsky, avait pour principale source de revenu le gaz russe. Il est également important de mentionner que la directrice du magazine, Mme Polony, allait encore récemment sur les plateaux de télévision pour prêcher que la guerre en Ukraine permettait, « comme par hasard », aux Américains d'écouler leur gaz de schiste. En politique, Mme Polony s'est engagée tôt pour Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de l'intérieur français, décoré personnellement par Vladimir Poutine et l'un des principaux propagateurs du récit russe dans les cercles de pouvoir en France, notamment auprès du président Macron.
Aujourd'hui, la Pologne est essentiellement attaquée dans les médias français par ces souverainistes crypto-poutinistes qui traitent la Pologne de russophobe, entrainant l’Europe dans la guerre, pour le plus grand intérêt des États-Unis et avec l'argent du contribuable français. Il y a tout d'abord ceux qui utilisent cette caricature de manière excessive et se ridiculisent eux-mêmes : les influenceurs poutinolâtres sur les réseaux sociaux. Ils vont jusqu'à accuser la Pologne de vouloir la guerre pour pouvoir annexer l'ouest de l'Ukraine, reprenant en fait un plan de partage proposé par la Douma russe en 2014 au ministre des Affaires étrangères polonais – qui avait rejeté cette proposition. Ils comparent également la Pologne à un mendiant arrogant qui utilise l'argent des contribuables français pour acheter des armements américains. Ils oublient bien sûr de rappeler que les Polonais, en Pologne, font leurs courses chez Auchan, Carrefour, Castorama, Leroy Merlin, Brico, sont abonnés à Canal+ et ont pour opérateur téléphonique Orange, placent leurs économies au Crédit Agricole et séjournent dans des hôtels Ibis, Mercure, etc. Ou, comme l'indique Thomas Piketty : les flux entrants de transferts de l'UE vers les pays de l'Est sont inférieurs aux flux sortants de profits et autres revenus de la propriété en provenance de ces pays. En résumé, l'Europe de l'Est rapporte plus d'argent à l'Ouest qu'elle ne lui coûte. Tout cela ne serait pas très important si ce discours n'était tenu que par les défenseurs des criminels de guerre russes, tant ils sont discrédités.
Le problème réside dans le fait que l'on entend cette petite musique dans les médias et les cercles de défense français. Le cas le plus édifiant est celui d'un enseignant de l'École de guerre (établissement de formation des officiers supérieurs des forces armées françaises et des services de la Défense), qui s'est présenté aux élections législatives à Paris sous les couleurs du parti de l'ancien ministre de l'Intérieur, M. Chevènement. Il y a un an, cet enseignant, alors totalement inconnu, a été mis en valeur par la chaîne YouTube d'Alain Juillet, ancien directeur du renseignement français et ancien employé de Russia Today, qui déverse sans aucune honte le narratif et les fake news du Kremlin sur les réseaux sociaux. Désormais, cet enseignant rédige des tribunes particulièrement indigestes, reprenant les lignes des budgets européens en les mettant en parallèle avec les règlements européens. Dans ces « analyses » qui provoquent un ennui profond, seuls le titre et les deux-trois phrases de conclusion, qui attaquent avec violence la Pologne, vous font sortir de votre léthargie. Il s'agit là d'un procédé habituel de « campagne négative » : par une analyse pseudo-scientifique, on légitimise des éléments de langage négatifs sans fondement. Ainsi, cet « expert » reproche aux Polonais de moderniser leur armée « aux frais des contribuables français et allemands », non pas avec de l'armement français mais américain. De plus, comble de tout, Varsovie « viole les valeurs européennes ». Quelles valeurs européennes la Pologne viole-t-elle ? L'auteur ne le dit pas. Peut-être est-ce le fait d'accueillir à bras ouverts plus de 3 millions d'Ukrainiens, sans créer de camps, en leur accordant les mêmes droits que sa population ? En fournissant un maximum de matériel militaire dès le début et en dégarnissant ainsi sa propre armée, alors que l'ogre russe est de nouveau aux portes de la Pologne ? Ce que notre « analyste » oublie de dire, c'est que la Pologne, en pourcentage de son PIB, a dépensé 10 fois plus que la France et 3 fois plus que l'Allemagne en matériel militaire pour l'Ukraine. Et si l'on prend en compte l'aide humanitaire, on peut parler de ratios de 1 contre 100 pour la Pologne. Et tout cela alors que l'UE a gelé les fonds européens de développement pour Varsovie. Cela peut paraître incroyable, mais depuis que la Pologne défend la frontière orientale de l'UE, d'abord en 2021 avec la Biélorussie qui a tenté de lancer une invasion migratoire, puis avec la Russie attaquant l'Ukraine, l'UE a suspendu les fonds destinés à la Pologne. Surtout, ce que notre enseignant de l'insipide oublie de dire quand il reproche à la Pologne d'acheter des chars coréens au lieu de français, c'est que la France n'en produit plus. L'industrie française de la défense est à son maximum et serait incapable d'honorer les commandes urgentes de Varsovie. Cette dernière s'équipe également de canons automoteurs coréens, alors que l’industrie polonaise en monte elle-même d'aussi bonne qualité. Mais le problème est que, tout comme la France, elle n'en produit pas assez rapidement. La Pologne, qui se trouve en première ligne face à la Russie et qui s'est dégarnie de son matériel au bénéfice de l'Ukraine, a un besoin urgent de s'armer en masse. Pour ce faire, elle achète du matériel aux pays capables de lui fournir immédiatement. Comment cet expert, enseignant de la défense, ne peut-il pas savoir cela ?
Alors certes, la Pologne est pro-américaine et achète son matériel militaire à Washington, mais comme toute l'Europe, nous sommes l'exception. Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi, en France, reproche-t-on quasiment uniquement à la Pologne d'acheter américain ? Toute l'Europe envisage sa politique de défense au sein de l'OTAN et achète américain. On peut le regretter, mais croire que la France pourrait changer cet état de fait juste en bombant le torse et en appelant au patriotisme européen est ridicule. Il faut comprendre pourquoi tous ces États sont tellement « pro-américains ». C'est uniquement par intérêt. Les pays d'Europe centrale, orientale et scandinaves ont identifié une seule menace réelle et immédiate : la Russie. Et une seule puissance en capacité de les défendre : les États-Unis. Ce n'est pas la France qui pourrait le faire. Pire, la France provoque la défiance et le mépris avec son discours sur sa vocation de « puissance d'équilibre » qui veut toujours ménager la chèvre et le chou. Vouloir être un arbitre n'a aucun intérêt. On n'y gagne jamais rien, si ce n'est des coups, d'autant plus quand on n'a plus la taille critique pour imposer un minimum de respect. Il faut bien avoir à l'esprit que pour tous les pays de l'OTAN, Paris s'est totalement et lamentablement plantée sur les ambitions et la menace russe, avant mais aussi après l'invasion russe. Si la France veut que l'Europe commence à s'« autonomiser » au niveau militaire, elle doit d'abord se regarder en face. Elle doit commencer par identifier ses relais russes à tous les niveaux de l'État et faire le ménage. Elle doit absolument aussi se séparer de tous ses « experts », payés avec l'argent public, qui n'ont rien vu venir et qui, de leur propre aveu même, ne comprennent toujours pas « ce qui a pris à Poutine ». Un grand nettoyage, bien visible, démontrant un véritable tournant, est une condition sine qua non pour redonner un minimum de confiance à nos partenaires européens. Ces « experts » nous ont ridiculisés et continuent de le faire.
Il faut tout de même se rendre compte que nous sommes la première puissance militaire continentale et que personne ne nous respecte. Ni les pays de l'OTAN, ni la Russie. La volonté de « puissance d'équilibre » tant promue par les cercles souverainistes de Jean-Pierre Chevènement et vénérée par nombre d'officiers supérieurs et diplomates français est un échec total. Il serait peut-être temps de se réveiller ?
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