Que retenir du discours sur l’état de la nation de Viktor Orbán ?

2023-03-06
Temps de lecture 10 min

Comme chaque année, à la mi-février, Viktor Orbán tient un discours majeur pour faire le bilan de l’année écoulée et annoncer les grandes lignes de l’année à venir, tout en mettant en avant les éléments principaux de sa vision et de sa stratégie.


Samedi 18 février, Viktor Orbán a tenu son dernier discours, où il a évoqué de nombreux sujets, de l’Ukraine et de l’OTAN à la politique familiale, en passant par le rapport aux Etats-Unis, la politique agro-alimentaire ou encore l’énergie et l’inflation. Voici un résumé des principaux points de son discours et de sa vision.

Guerre en Ukraine, OTAN et « camp de la paix »

Alors qu’on s’apprête à commémorer le premier anniversaire de la guerre russo-ukrainienne, Viktor Orbán a longuement parlé de la position hongroise sur ce conflit. Pour le Premier ministre hongrois, il s’agit à la fois d’un conflit local « entre slaves », qui n’est pas une guerre du bien contre le mal et qui n’est pas non plus la guerre des Hongrois. En revanche, il s’agit d’un conflit qui ne se résoudra que lorsque les Etats-Unis et la Russie décideront de négocier, ce qui selon Orbán n’est pas à espérer pour bientôt, ce qui pourrait bien prolonger la période de pression permanente subie depuis le début du Covid. Ce conflit local a été escaladé par l’UE à l’instar de la volonté des Etats membres. Prenant l’exemple de la Géorgie en 2008, Orbán explique qu’il est possible d’atteindre la paix par les négociations, mais que cela a été impossible du fait d’un « esprit provincial » européen. Il prend l’exemple de l’Allemagne, qui était, comme la Hongrie « dans le camp de la paix » et qui sous pression extérieure est passé dans le « camp de la guerre », provoquant un effet boule de neige en Europe.

Rester en dehors de la guerre est pour Orbán « la seule chose juste à faire ». Aider les réfugiés ukrainiens est naturel, explique-t-il, avant de dire que la Hongrie reconnaît le droit de l’Ukraine à se défendre mais insiste sur l’importance pour lui de faire toujours passer les intérêts hongrois avant les intérêts ukrainiens. Orbán a exprimé aussi sa crainte de voir les fonds qui lui sont attribués aller à l’Ukraine, et a expliqué qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre aider l’Ukraine sur le plan humanitaire et garder des relations commerciales avec la Russie. « Sans relations, pas de négociations de paix », a-t-il déclaré, appelant les pays occidentaux à maintenir le dialogue avec la Russie. « Nous comprenons nos amis polonais et baltes, l’histoire leur donne de bonnes raisons. Mais les autres ? »

« Le plus tard cela arrivera, plus le prix à payer pour nous sera élevé », estime-t-il à propos des négociations de paix. Pour le gouvernement hongrois, plus la guerre dure, plus les pertes humaines et matérielles, ainsi que le coût pour le contribuable européen grimpent, sans apporter de victoire sur la Russie pour autant.

Viktor Orbán a rappelé qu’il y a peu, Bruxelles promettait que les sanctions mettraient fin à la guerre, et qu’il n’en a rien été. Pis, cela a selon lui visé la Russie mais frappé l’Europe. La Russie bénéficiant, elle, de revenus supplémentaires.

Pour Orbán, la position hongroise n’est une exception qu’en Europe, et partout ailleurs dans le monde, les intérêts nationaux priment, contrairement à l’Europe. Par ailleurs, à ses yeux, cette guerre a prouvé que la Russie n’était pas une menace pour l’OTAN tant que le conflit reste conventionnel.

Viktor Orbán rappelle aussi que la divergence de position stratégique de la Hongrie d’avec ses alliés fait oublier à beaucoup que les objectifs sont toutefois toujours communs : que la Russie ne soit pas une menace pour l’Union européenne, et qu’il existe un pays, l’Ukraine, profond et souverain entre la Russie et nous.

Attaqué récemment par la gauche hongroise et des relais occidentaux sur une prétendue volonté de purger l’armée hongroise de cadres « pro-OTAN », Orbán a clarifié sa position sur l’alliance : « il est vital pour la Hongrie d’appartenir à l’OTAN. Nous sommes trop à l’est du monde occidental pour y renoncer. […] suivant l’exemple de la Suisse et de l’Autriche, nous pourrions jouer avec l’idée de neutralité. Mais nous n’avons pas ce luxe ». Il a continué en rappelant aussi que l’OTAN est une alliance défensive, et exclusivement défensive, et non une coalition de guerre.

Economie, sanctions et programme 2023

Pour le chef du gouvernement hongrois, l’entrée en guerre de l’Occident avec les sanctions a frappé non la Russie mais bien l’Union européenne, et cela a poussé la Hongrie à repenser toute sa politique en matière d’économie, de diplomatie, de défense et de police, un travail qui touche à son but. Le ligne principale de la politique étrangère hongroise demeure : « continuer à se faire des amis, pas des ennemis ; chercher à ce que tout le monde ait sa part dans le succès de la Hongrie. La création de connexions et pas de blocs ».

Axe majeure de la politique orbanienne, la politique nataliste et pro-famille reste une priorité : les familles avec enfant doivent vivre mieux que celles sans enfants, a déclaré Orbán, ajoutant que chaque année, une mesure pro-famille supplémentaire sera implémentée. La politique de 13e mois pour les retraités et celle de réduction des factures d’énergie pour les ménages restent de mise. L’objectif de contrôle majoritairement hongrois des secteurs de la banque, de l’énergie et des médias, ainsi que des télécommunications reste également en place. En plus de cela, Orbán a annoncé un plan massif d’investissement pour la campagne, disant que c’est un projet sans précédent, « même sous l’empire austro-hongrois ».

Viktor Orbán entend aussi développer le secteur alimentaire en complément du renforcement de l’agriculture, secteur clef de l’économie hongroise, visant à créer un ou plusieurs géants de l’alimentaire capable de s’imposer parmi les principaux distributeurs agro-alimentaires mondiaux.

Pour cela, Orbán entend investir dans nouveaux gazoducs et oléoducs, avec ou sans l’aide de Bruxelles. Orbán rappelle également que l’UE avait promis de ne pas étendre les sanctions à l’énergie, manqua, là aussi, à sa parole. Il pointe du doigt les grandes compagnies qui ont réalisé des bénéfices monstrueux sur le dos des Européens en profitant de cette crise, et annonce des taxes spéciales sur les profits pour financer ses politiques nationales.

Viktor Orbán a expliqué également que la hausse déraisonnable du prix de l’énergie, notamment dû à la politique européenne d’alignement du prix de l’électricité sur le prix du gaz, malgré la volonté de la Hongrie et de la Pologne, a eu comme conséquence une explosion de l’inflation. 2022 aura été d’autant plus une année compliquée que la Hongrie n’a pas reçu ses fonds européens promis sous prétexte de manquements à l’état de droit. Pour Orbán, ce n’est pas à Bruxelles de surveiller les Etats membres, mais aux Etats membres de surveiller Bruxelles. Durant son discours, l’homme fort de Budapest a déclaré espérer des élections européennes de 2024 un changement en ce sens.

Enfin, sur le volet économique, Orbán s’est voulu finalement rassurant, rappelant que malgré l’inflation record, la Hongrie a battu trois records : record de l’emploi, avec un nombre jamais atteint de personnes employées, record des exportations et record des investissements étrangers. Orbán annonce une inflation revenue à moins de 10 % d’ici la fin de l’année.

Etats-Unis

Viktor Orbán a également abordé, succinctement, le climat diplomatique tendu entre la Hongrie et les Etats-Unis. Outre l’évocation des millions de dollars versés à l’opposition hongroise par des fonds américains sous contrôle du gouvernement des Etats-Unis, Orbán a décidé de se fendre d’un trait d’esprit pour décrire sa crainte. Après avoir rappelé qu’en 2014, Clinton avait envoyé en Hongrie « Goodfriend » [nom de famille du chargé d’affaire], un « bon ami », pour rappeler aux hongrois la position US sur certains sujets, Orbán a ensuite dit que la Hongrie était désormais dotée d’un « Pressman » [nom de famille de l’ambassadeur], et a conclu en disant espérer ne pas avoir à gérer la prochaine fois un « Puccini ».

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