Ce mois d'avril a été marqué par deux événements majeurs en France. D’abord, la poursuite de la contestation contre la réforme des retraites, qui, pour de nombreux experts, constitue une crise de régime pouvant déboucher sur une VIème République. À mon sens, il s'agit avant tout d'une instrumentalisation de la rue par les élites de gauche pour maintenir leurs privilèges dans un contexte de réduction des déficits. Le deuxième événement, lié au premier, a été la dégradation d'un cran de la note de la dette publique française par l'agence de notation Fitch, qui aggrave encore plus la liste des indicateurs d'un déclassement continu de la France.
Commençons par la fin. Le 28 avril dernier, l'agence de notation Fitch Ratings a dégradé la note de la dette publique française d'un cran, passant de AA à AA-. En 2012, la France bénéficiait d'une note AAA, qui était passée en 2013 à AA+. Ce déclassement de la France est général, que ce soit en matière d'éducation ou de PIB. Qui se souvient que dans les années 60, la France était la deuxième ou troisième puissance économique mondiale, derrière les États-Unis et parfois le Japon ? Aujourd'hui, elle est classée septième… Pour en revenir à la notation de la dette souveraine, elle reflète à la fois le niveau d'endettement et la capacité de remboursement de l'emprunteur. Il est vrai que la dette de la France s'est accrue pendant la période du Covid, passant en moyenne de 97% avant 2020 à plus de 111% entre 2020 et 2022. Mais ce qui interpelle, c'est que Fitch a abaissé la note cette année alors que l'année dernière, malgré une dette et des déficits plus importants, elle était restée inchangée. Cela signifie donc que Fitch estime que la capacité de remboursement s'est légèrement détériorée, et ce bien que la réforme des retraites soit entrée en vigueur. Pourtant, l'un des objectifs affichés du passage de l'âge de la retraite de 62 à 64 ans était de rassurer les créanciers, en démontrant la capacité de la France à travailler plus longtemps pour rembourser. L'agence de notation s'est justifiée en ces termes : « L'impasse politique et les mouvements sociaux (parfois violents) constituent un risque pour le programme de réformes d'Emmanuel Macron et pourraient créer des pressions en faveur d'une politique budgétaire plus expansionniste ou d'un renversement des réformes précédentes, (...) les forces radicales et anti-establishment augmentant à nouveau le risque de perte de contrôle de la dépense publique. »
Fitch craint donc que le gouvernement français ne revienne sur sa réforme et qu'il ne se remette à creuser déficits et dettes en essayant de calmer la grogne sociale, comme toujours en France, en arrosant d'aides et de subventions les catégories qui se plaignent le plus. Or le gouvernement a prévu, normalement, d'accélérer le désendettement avec un nouvel objectif raisonnable, pour un paquebot comme la France, d’une dette de 108,3 % du PIB en 2027. Dans un pays aussi administré que la France, dont l'État prélève 47 % du PIB annuel, ce qui en fait la championne du monde en la matière, il est très important pour les élites de se placer pour les postes, les fonctions, les commissions et les financements en début de mandat, d'autant plus quand les moyens vont être réduits. Quand il s'agit du premier mandat du président, on ne crache pas sur l'avenir et on le flatte. Mais quand on sait qu'il ne pourra pas se représenter, il est important de montrer à quel point il est préférable de vous avoir avec lui que contre lui. En France, en politique et dans l'administration, on ne juge pas une personne en fonction de ses compétences, mais de son pouvoir de nuisance.
Outre les violences, ce qui impressionne le plus quand on regarde les manifestations, c’est la concentration des drapeaux des syndicats, notamment ceux rouges de la CGT, et le soutien massif des médias publics. En caricaturant, autant il manquait aux Gilets Jaunes la présence d’élites, des syndicats et de la fonction publique pour réussir, autant il manque à cette contestation les salariés et les petits entrepreneurs du privé. Le gros des manifestations est constitué par les secteurs financés par l’État : syndicalistes, ONG, partis politiques et fonction publique. Certes, et comme au début des Gilets Jaunes, la très grande majorité des Français soutiennent ce mouvement. Pire pour Emmanuel Macron, après six ans de pouvoir, désormais trois quarts des Français ne lui font plus confiance ou ne l’écoutent plus. Malgré tout, comme je l’écrivais en mars, je pense que M. Macron va gagner ce bras de fer. D’abord par lassitude, à cause des violences, et surtout, parce que maintenant, les élites de gauche ont montré leurs muscles et n’ont aucun intérêt à ce que la contestation sociale continue. Les manifestations ont démontré le pouvoir de nuisance des médias publics, des syndicats et des leaders d’opinion de gauche, mais aussi, malgré leur énorme puissance de frappe, que le nombre de manifestant stagne et s’érode doucement. Si le but des syndicats était vraiment de gagner, ils appelleraient à une augmentation des salaires dans le secteur privé pour faire face à l’inflation. Car dans le privé, tout le monde préférerait une augmentation tout de suite, plutôt que la promesse d’une hypothétique retraite, qu’elle soit à 62 ou 64 ans. Mais ils ne le font pas, car gagner dans la rue signifierait de nouvelles élections. Or, Marine Le Pen, que la gauche et les syndicats détestent plus que tout, est au plus haut dans les sondages. De nouvelles élections parlementaires obligeraient Emmanuel Macron à s’allier au parti de droite « Les Républicains » pour gagner contre elle. La gauche serait perdante dans tous les cas. Aussi, à mon sens, les élites de gauche utilisent la rue pour sanctuariser leurs postes, fonctions et financements dans un contexte de réduction de la dette et donc des financements. D’ailleurs, Emmanuel Macron utilise la future « Loi immigration » comme outil de chantage. L’immigration est devenue essentielle pour l’écosystème de la gauche, tant en termes de revenus directs et indirects, que de cause existentielle pour les ONG, syndicats, partis politiques de gauche et médias publics. En signe d’apaisement, M. Macron avait proposé d’enterrer la future « Loi immigration » fin mars. Fin avril, en même temps que l’annonce de Fitch, il menace désormais de la remettre sur la table.
En revanche, pour un nombre croissant d'experts français, ces mouvements de protestation sont avant tout une crise de régime. Le premier à avoir proposé cette analyse est l'historien Philippe Fabry. Comme il l’indique dans « Le Figaro », le régime français, par son hyper-présidentialité, constitue « une exception au regard des standards institutionnels en vigueur dans l'Europe démocratique : le chef de l'État n'y est pas, en pratique, distinct du chef de gouvernement, puisque le président de la République préside le Conseil des ministres. Contrairement aux pays voisins, le véritable chef de l'exécutif en France n'est pas responsable devant le Parlement, est inamovible durant son mandat et tient l'Assemblée nationale sous la menace de la dissolution. (…) Ainsi, la Ve République est une anomalie, cernée par des démocraties parlementaires dans l'espace européen. » Alors, la France traverse-t-elle une crise politique ou institutionnelle ? Réponse dans les semaines et mois à venir.
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