Peu de personnes se rendent compte à quel point le régime de Poutine a infiltré la France ces 20 dernières années. Des dirigeants politiques tels que M. Sarkozy ne sont que le sommet de la partie émergée de l’iceberg, constitué de figures politiques connues, de hauts fonctionnaires, d’influenceurs pro-russes sur les réseaux sociaux, de l’encadrement des militants des partis de droite, la quasi-totalité des intellectuels souverainistes populaires et toutes les mouvances antisémites et antisionistes. C’est un incroyable réseau rhizomique qu’a mis en place Moscou, capable de s’adresser aussi bien à un boomer communiste qu’à un tiktokeur royaliste, et qui désormais s’auto-entretient sans besoin d’intervention directe de Moscou. Plongeons dans ce monde protéiforme, dont les acteurs n’ont qu’un seul point commun : leur impatience à vouloir prendre le pouvoir par tous les moyens.
Le cas « Sarkozy » doit nous inciter à abandonner toute naïveté envers les porteurs de discours pro-russes :
Attardons-nous quelques instants sur le « cas Sarkozy » tant il est édifiant. Au mois d'août de cette année, Nicolas Sarkozy a fait une grande partie de l'actualité française avec ces propos polémiques sur l'Ukraine. L’ancien président de la République française a plaidé, en substance, pour un État ukrainien neutre, une Crimée russe et l’organisation de référendums dans l'est et le sud ukrainien, pour décider de leur appartenance à Moscou ou Kiev. Des référendums qui seraient quasi impossibles à organiser, car il faudrait que les Russes acceptent de se retirer pour qu'ils soient réguliers. Comment imaginer une seule seconde un référendum libre et transparent se déroulant sous la menace des armes des soldats russes qui soutiennent le rattachement de ces régions à leur mère patrie ? Il faut être particulièrement naïf pour croire que Poutine laisserait s’épanouir un débat contradictoire nécessaire et préalable à tout référendum. De plus, quelles populations auraient le droit de participer à ce vote ? Les habitants de la région d'avant 2014 ? 2022 ? Les réfugiés qui ont fui? Les milliers de Russes que Poutine a fait installer sur place ? Outre que ces référendums seraient des casse-tête sans nom à organiser, il est impossible que Poutine les laisse se dérouler de façon libre et transparente, il ne peut pas prendre le risque de perdre ces élections, ce serait le début de la fin pour son régime. Cette proposition de l’ancien Président français ne peut qu’aboutir à geler le conflit et que Vladimir Poutine encaisse ses gains territoriaux sans plus de dommages. Et Nicolas Sarkozy ne peut l’ignorer.
De notre côté, nous ne pouvons ignorer le fait que M. Sarkozy a signé des contrats avec des fonds russes, notamment pour une conférence en Russie où il a vanté les mérites de Vladimir Poutine (300 000 €) et des conseils juridiques (3 000 000 €). En tant que Président, il a imposé la vente des navires de débarquement Mistral à la Russie (si François Hollande ne s'y était pas opposé, la Russie aurait pu prendre Odessa grâce à eux) ou encore la cession du siège de Météo France à Moscou pour en faire une cathédrale orthodoxe. Non seulement cette décision a servi la propagande de Poutine, faisant de lui l'héritier des Tsars, protecteur de l'Église orthodoxe, et le narratif sur le retour de la Grande Russie impériale, mais en plus, elle a mis, et met toujours, en danger les intérêts vitaux de la France. Cette Église est voisine du Palais de l'Alma où sont logés nombre d'employés de l'Élysée, dont les membres du cabinet du président de la République, ainsi que de son État-major particulier. Grâce à Sarkozy, on loge les principaux détenteurs des secrets de notre pays à côté d'un immense bâtiment conçu et construit par un régime constitué d'officiers du KGB. Quand on connaît les moyens d'écoutes et d'interception d'aujourd'hui, c'est une folie. Rien que de savoir que le chef d'État-Major est parti de chez lui précipitamment à deux heures du matin est une information capitale, ou même que depuis une semaine sa femme ne lui téléphone plus une fois par jour. Et que dire de la "politique africaine" de Nicolas Sarkozy, qui dans les faits, a été particulièrement désastreuse pour la France, mais une vraie aubaine pour la Russie. Il a détruit les derniers liens amicaux que nous avions sur le continent en faisant comprendre aux dirigeants africains qu'ils n'étaient pas des amis, mais des relations d'affaires. Dans ce cadre, ces derniers nous ont alors mis naturellement en concurrence avec les Russes. C’est M. Sarkozy qui a fermé la base avancée de Birao qui ne nous coûtait quasiment rien, mais qui était stratégique, véritable tour de guet au centre de l'Afrique. Les Russes ont sauté sur cette occasion pour en faire une base de leur déploiement militaire et de Wagner en Afrique. De là, ils peuvent faire partir tous leurs coups tordus au Sahel et dans toute l'Afrique francophone. Et je ne parle pas de l'intervention française en Libye qui a été l'élément déclencheur du chaos au Sahel, permettant l'arrivée de la Russie et de gouvernements pro-russes au pouvoir dans la sous-région. Ou encore du fait que M. Sarkozy a permis à M. Poutine d’obtenir tout ce qu’il voulait et sans dommage après son agression contre la Géorgie.
Nous pourrions considérer que tout cela n’est que le résultat de l’incompétence de M. Sarkozy en matière internationale, mais alors, à tout le moins, cela devrait le disqualifier pour donner son avis sur un dossier aussi stratégique que l’Ukraine. Mais même en faisant abstraction des faits, la malhonnêteté de son discours ne nous laisse que peu de doutes. D’abord, l’argumentaire de M. Sarkozy est une reprise intégrale des éléments de langage des influenceurs pro-russes sur les réseaux sociaux :
- « La Russie est bien trop puissante, il faut arrêter d'armer l'Ukraine, car c’est faire durer la guerre et donc les souffrances des Ukrainiens… »
- « Ceux qui veulent aider l'Ukraine à se défendre sont des va-t-en-guerre. »
- « La Russie ne déménagera pas, aussi nous sommes condamnés à nous entendre avec elle. »
Dans les faits et concrètement, M. Sarkozy nous demande de faire pression sur la victime, l’Ukraine, pour qu’elle cède aux demandes de son bourreau, la Russie. Ce discours qui nous invite à collaborer avec Moscou au plus grand profit du criminel de guerre Poutine ne peut évidemment être que qualifié de pro-russe par tout honnête homme. Ensuite, ses propositions reviendraient à se soumettre intégralement aux exigences de Poutine. Or M. Sarkozy se réclame sans cesse du Général de Gaulle, il utilise même son soi-disant gaullisme comme base de son argumentaire pro-russe. Pourtant, le général de Gaulle est le symbole incontestable de la résistance à l’invasion, du refus de la soumission à la loi du plus fort. Et qui pour ce faire était prêt, comme le disait Churchill, à se battre partout, dans les airs, sur la mer, dans les terres, les champs, les rues, les plages. Au contraire, l’antithèse du Général, Pétain, face à une force supérieure, lui, a préconisé la soumission, négocié avec l'envahisseur afin qu'il nous asservisse avec notre accord. Soit exactement ce que propose Nicolas Sarkozy. Au regard de son parcours, l’ex-président français est tout à fait apte à comprendre cette incroyable contradiction, tant elle est d’une simplicité absolue. À ce niveau, cela ne peut être de la confusion mentale, c'est forcément de la mauvaise foi engendrée pour protéger un intérêt puissant. Or il est évident que ses discours soi-disant gaullistes sont en fait de la propagande pour les intérêts d'une puissance étrangère qui nous est hostile : la Russie.
Hélas, Nicolas Sarkozy n’est pas le seul à assurer le service après-vente du narratif pro-russe en France ou à avoir bénéficié des largesses de la Russie. Il faut se rendre compte qu’en plus de Nicolas Sarkozy, vous avez François Fillon, ancien Premier ministre, et tous les principaux candidats de la droite aux présidentielles en France depuis 15 ans ont un lien d'intérêt avec le régime de Poutine et à un moment ou un autre ont propagé son narratif. La gauche n’est pas épargnée avec Jean-Luc Mélenchon (leader de la gauche radicale), Ségolène Royal (ex-candidate du Parti Socialiste à la présidentielle) ou encore M. Chevènement (ex-ministre de l’Intérieur, figure principale du souverainisme de gauche en France et conseiller du Président Macron). Et je ne vous parle pas, par manque de temps, des élus de seconde zone, de tous bords, qui depuis 15 ans abreuvent la population française, en toute impunité, de fausses informations du Kremlin. Ni des magnats de la presse française qui ont des liens avec la Russie, tel le milliardaire tchèque dont les principaux revenus dépendaient du gaz russe, qui détient de plus en plus de titres de presse français, comme le magazine Marianne dont la directrice Mme Polony, souverainiste connue, porte aussi les mêmes discours pro-russes et même pro-gaz russe partout où elle le peut. Vous pouvez retrouver toutes ces informations, avec un peu d’effort, mais assez facilement, dans la presse. Par contre, vous retrouverez plus difficilement des informations sur les réseaux russes au sein de l’administration française.
Un nid d’agents russes ou d’incompétents au sein de la haute administration française ?
En France, les politiques, les services de renseignement, l’écrasante majorité de nos diplomates et grands experts n’ont rien vu venir et étaient totalement persuadés que les Russes n’attaqueraient pas l’Ukraine. Pire, ils ne comprennent toujours pas ce qui s’est passé. Pour les services de renseignement français, trois explications sont possibles à cet aveuglement. D’abord, il y a peut-être tout simplement un problème de niveau. Je suis à chaque fois effaré par le nombre de préjugés et stéréotypes sur les pays slaves dont sont bourrés les hauts fonctionnaires et les hauts gradés français et par la fatuité avec laquelle ils vous les assènent. Ensuite, à la décharge des services de renseignement français, il faut dire qu'ils se concentraient beaucoup sur l’Afrique et le djihadisme, et s’appuyaient sur les analyses de leurs homologues allemands pour ce qui concerne l’Est de l’Europe. Au regard de la bienveillance allemande d’avant-guerre envers le régime de Poutine, il n’est pas impossible que les services allemands n’aient fourni que des analyses apaisantes aux services français. Mais surtout, nombre des think tanks pro-russes, dont les sources de financement sont obscures, ont fleuri ces dernières années en France. Ils ont embauché en nombre des généraux et des directeurs du renseignement français. Vu leur faible bagage intellectuel dans le domaine et la soif de reconnaissance qui va souvent avec leur occupation, il a sûrement été facile de leur faire imprimer le narratif russe - narratif qu’ils étalaient jusqu’il y a quelques mois dans les médias mainstream et continuent de le faire sur les réseaux sociaux.
Prenons l’exemple du « Centre Français de Recherche sur le Renseignement » (CF2R) dirigé par Éric Denécé, ancien officier du renseignement au sein de la Marine nationale, puis au Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale. Malgré un discours tellement prorusse qu’il ferait rougir Poutine lui-même, il a été l’invité de tous les médias. Ces derniers le présentent comme un expert, alors qu’il a d’abord accusé les Américains (avant l’invasion russe) de « mettre en scène une menace et une agression russe qui n'existent pas ». Puis, fin mars 2022, il a appelé Volodymyr Zelensky à présenter « des excuses pour avoir été à l'origine du conflit en Ukraine et avoir contribué à l'extermination de sa population ». Au sein du CF2R, vous retrouvez nombre d’« experts » habitués des chaînes TV, radios ou des réseaux sociaux. Comme par exemple le Colonel Jacques Baud (Suisse), ancien membre du Service de renseignement stratégique, qui va dire sur tous les plateaux : « il n’y a jamais eu de troupes russes dans le Donbass avant le 23-24 février 2022, et Moscou n’armait pas les séparatistes ». Alors que les sources mêmes que cite M. Baud disent tout le contraire, qu’une grande partie des dirigeants fondateurs des républiques séparatistes en 2014 ne sont même pas nés dans le Donbass. Ce sont des Russes tels que le célèbre héros des guerres russes Igor Guirkine « Strelkov ». Né à Moscou, il n’a jamais vécu dans le Donbass avant 2014. Il est en 2014 en Ukraine le commandant du GRU, la direction générale du renseignement militaire russe. Il organise la rébellion armée des républiques séparatistes et devient même le premier ministre de la Défense du Donetsk. Même profil, origine et itinéraire pour M. Chetsov, le ministre de la Sécurité. Ou pour M. Boradai, le Premier Ministre de la république du Donetsk…
Vous avez ensuite Alain Juillet, ancien directeur du renseignement de la Direction générale de la Sécurité extérieure et ancien employé de Russia Today, qui déverse sans aucune honte le narratif du Kremlin sur les réseaux sociaux. Christophe Gomart, ex Directeur du renseignement militaire, qui a quitté dernièrement le CF2R, ce qui ne l’a pas empêché de faire une émission sur YouTube avec Alain Juillet où les fake news les plus « bas de gamme » de la propagande russe ont été mises à l’honneur. Nous avons aussi Pierre Lellouche (ancien ministre de Nicolas Sarkozy) qui a fait il y a quelques mois exactement le même numéro de cirque pro-russe que Nicolas Sarkozy sur plateaux TV, avec le même argumentaire.
Encore quelques noms, mais je ne peux tous les citer : Alain Chouet, ancien Chef du Service de renseignement de sécurité (SRS) de la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) ; le Général de brigade aérienne Pascal Legai, ancien commandant du Centre de Formation et d’Interprétation Interarmées de l’Imagerie (CF3I) de la DRM (2004-2006), ex-directeur du Centre satellitaire de l’Union européenne et « Senior Advisor » du directeur de l’Agence spatiale européenne ; ou le Colonel Igor Nicolaevich Prelin (Russie), vétéran du renseignement soviétique ayant servi toute sa carrière (1962-1991) au KGB où il a occupé successivement des fonctions au Service de contre-espionnage, au Service de renseignement (Guinée, Sénégal, Angola), à l’École de renseignement - où il fut notamment l’instructeur de Vladimir Poutine - et comme officier de presse du dernier président du KGB, le général Krioutchkov.
Pour ce qui est de la faillite lamentable de nos diplomates et experts, il se peut qu’accaparés à échanger avec les élites russes (qui savent être particulièrement enjôleuses, cajoleuses, affables et aimables), ils se soient fait berner. En même temps, il leur aurait suffi de faire des tours dans les librairies russes ou regarder la TV russe pour se rendre compte que le régime réhabilitait Staline, préparait les Russes à la guerre contre l’Ukraine et faisait croire à son peuple que l’OTAN voulait sa destruction. Comment n’ont-ils pu voir que le gang de KGBistes au pouvoir en Russie était en fait des vieux soldats de la guerre froide qui n’attendaient qu’une seule chose : l’occasion de prendre leur revanche ? La France a pourtant des diplomates qui ont des connaissances encyclopédiques sur la Russie, qui tiennent des raisonnements, sincèrement, époustouflants, mais qui hélas se trompent quasiment tout le temps, tel Jean de Gliniasty. Cet ancien ambassadeur de France à Moscou, fin connaisseur de la culture et de l'histoire russes, expert sur les plateaux TV, est Directeur de recherche à l'IRIS, spécialiste des questions russes. L'IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) est LE grand think-tank français des questions géopolitiques et stratégiques. Alors qu'il a reçu des millions d'euros d'argent public et qu'a priori ses revenus viennent essentiellement des ministères (en particulier celui de la défense) et collectivités publiques, ses comptes ne sont pas publics. Son patron est Pascal Boniface, qui, comme M. de Gliniasty, sur les médias mainstream tient des propos plutôt neutres, mais se déchaîne sur Youtube en exposant le narratif russe soit directement, soit via des invités. En novembre 2014, après que l'organisme qu'il dirige eut été cité dans des enquêtes publiées par le journal Libération au sujet du réseau d'influence russe, Pascal Boniface refuse au quotidien de publier l'interview qu'il leur avait accordée, concernant le financement de l'IRIS. Pascal Boniface, notamment via l'IRIS, organise des événements et conférences avec le Dialogue franco-russe et ses responsables, Thierry Mariani (visé par une enquête pour corruption en lien avec la Russie) et Vladimir Iakounine qui ont été des courroies importantes de l’influence du Kremlin en France. Pour revenir à Jean de Gliniasty, il faut savoir qu'en 2015, il estimait que les Européens auraient dû « donner » Sébastopol à la Crimée et jugeait que la Crimée avait « toujours été russe ». Le 11 mars 2021, présenté en tant qu'expert, il a affirmé à l'agence TASS que « Le vaccin Spoutnik V est une réalisation scientifique, médicale et géopolitique exceptionnelle de la Russie ». Ce grand « expert impartial » du « monde russe » n'a rien vu venir de l'invasion de 2022. Le 7 février 2022 (2 semaines avant l'invasion), il a déclaré, sur une chaîne française, « douter » qu'il y ait une menace de la part des Russes et que tout cela n’était que « gesticulations » avant une négociation, puis a déroulé le narratif russe dont personne ne se méfiait à l'époque.
Toutes ces personnes ont participé activement à la propagation du narratif russe dans les médias, les cercles politiques français et les salons parisiens. Imaginez le nombre de personnes intoxiquées par ces généraux, directeurs du renseignement, diplomates lors de conférences, de formations ou de simples échanges avec leurs confrères. C’est affolant. Mais la Russie ne s’est pas contentée d’infiltrer les élites françaises, elle a réussi à préempter 90 % de tout ce que la France compte de non-progressiste : ses intellectuels, ses influenceurs, ses médias et l’encadrement des militants des partis de droite et d’une partie de la gauche radicale.
Russia Today, la chaîne qui a converti les déçus du mainstream au récit russe.
Conçue pour imposer un récit russe, sans limites dans le mensonge, pour dissimuler, préparer et justifier les méfaits du Kremlin, la stratégie d'influence de Russia Today France s'est construite sur les divisions de la société française et sur une faille importante de notre démocratie : la crise du pluralisme dans les médias de masse, qui ont développé une forme de pensée autorisée sur des sujets cruciaux pour de nombreux Français, tels que l'immigration de masse, l'islam, les théories du genre ou encore le déclassement de la France.
Tous les journalistes, intellectuels ou éditorialistes refusant de promouvoir l'immigration ou les théories du genre ont été peu à peu exclus des médias de masse en France. Russia Today a ainsi pu récupérer le Tout-Paris non-progressiste qui n'avait pas beaucoup de choix s'il voulait vivre du fruit de sa pensée. Elle a ciblé en particulier les nombreux Français qui étaient caricaturés, voire insultés dans les médias publics car ils votaient RN, étaient catholiques pratiquants, se plaignaient de l'insécurité croissante liée à l'immigration de masse, ou s'inquiétaient de l'institutionnalisation des théories du genre. Ces Français ont trouvé une chaîne à leur écoute en Russia Today. Elle leur est apparue comme un média dissident, exposant la vérité que le mainstream refusait de diffuser. Trouvant enfin un média traitant, à leurs yeux, honnêtement l'information sur des sujets primordiaux pour eux, ils ont accordé toute leur confiance à des sujets secondaires qu'ils ne maîtrisaient pas, comme la Russie.
Russia Today a ainsi préempté cette audience non-progressiste et ses influenceurs, jusqu'à la rendre captive, en polarisant et en accroissant les clivages entre les Français sur les sujets exclus du débat contradictoire en France. Elle a mis en scène une vision du monde exagérant les faiblesses de la France et promouvant une Russie imaginaire, dernier bastion de la moralité et de la beauté. Les influenceurs qui portaient ce nouveau récit, s'opposant frontalement aux médias mainstream, ont inspiré une confiance et un nouvel espoir. Certains Français ont commencé à juger de la bonne foi d'une source d'information à sa capacité à produire un récit contraire à celui des médias mainstream. Les médias alternatifs et les influenceurs ciblant cette clientèle, doivent non seulement produire du contenu en opposition avec celui des médias de masse, mais aussi s'aligner sur la doxa imposée par Russia Today.
Dès le début de la guerre en Ukraine, ils se sont piégés. D'abord par effet moutonnier, en s'alignant sur les principaux leaders d'opinion « made in » Russia Today. Puis en diffusant en masse les fausses informations de la propagande russe, plus délirantes les unes que les autres, des photomontages pitoyables et des vidéos trafiquées à dormir debout. Désormais, pour ne pas se déjuger et se ridiculiser, ils sont obligés de continuer leur fuite en avant. Pire que tout, ils se sont rendu compte que cela rapportait gros de prédire tous les jours la fin du monde et de promouvoir le récit russe, tel que le faisait Russia Today (lire mon article décrivant le business modèle des influenceurs pro-russes sur les réseaux sociaux : LINK).
Le « pro-russisme » est ainsi devenu un nouveau politiquement correct dans les médias non-progressistes. L'écosystème pro-russe n'a même plus besoin d'être contrôlé, ni financé, par le Kremlin, il s'auto-entretient, à deux nuances près. D'abord, il est probable que les usines de trolls russes les aident à monter dans les tendances, obtenir des likes et des vues afin d'augmenter leur rémunération et d'améliorer leur référencement sur YouTube. Plus leurs contenus adhéreront à la propagande russe, plus ils recevront de vues et de likes, ce qui les encourage à aller toujours plus loin. Ensuite, il existe aussi tout un clergé chargé d'actualiser le récit russe et ses éléments de langage.
La colonne vertébrale du « parti russe de France »
Il y a d'abord ceux que j'appelle depuis février 2022 les « Poutinolâtres ». C'est une nébuleuse de groupuscules héritiers de l'extrême droite antisémite et de l'extrême gauche antisioniste. La convergence des luttes de cette nébuleuse se fait sur un ennemi commun : les USA et un même objectif revendiqué : rouvrir les robinets de gaz russe. Cette fraternité d'armes contre-nature est le fruit du travail assidu d'un homme : Alain Soral. Ami d'Alexandre Douguine, le grand promoteur russe du national-bolchévisme et idéologue principal donnant un cadre intellectuel à l'impérialisme russe. Alain Soral, qui se décrit lui-même comme « très pro-Poutine », a préfacé les traductions françaises des ouvrages de Douguine. Cette galaxie de nationaux-révolutionnaires, nationalistes de gauche, nationalistes de droite, socialistes nationaux, nationaux-socialistes et nationaux-bolchéviques n'a électoralement quasiment aucun poids, mais est très influente idéologiquement chez les souverainistes et au sein des trois principaux partis politiques français de droite (Reconquête, RN et LR), mais aussi du premier parti de gauche (LFI). Les principaux influenceurs au sein de cette mouvance aux mœurs interlopes partagent des amitiés, des amants et des maîtresses avec nombre de personnages importants au sein des anciens soutiens de Jean-Pierre Chevènement et François Fillon, ainsi qu'avec les entourages de Mme Le Pen et M. Zemmour.
Il est intéressant de noter que l'un des grands architectes de l'influence russe en France et entremetteur entre nationaux-bolcheviques, souverainistes et droite française a été Alexandre Orlov, ancien ambassadeur de Russie à Paris. Il a été à la fois le promoteur d'Alain Soral et assez proche d'Eric Zemmour pour être l'un de ses deux parrains à l'entrée du club le plus sélect de Paris : le « Cercle de l'Union Interalliée ».
A priori, environ 80 % des politiques et principaux influenceurs qui se réclament du gaullisme sont pro-russes. J'englobe dans les pro-russes ceux qui appellent à la « paix » à la manière de Miss Monde qui se déclare pour la fin de la famine et la paix dans le monde. Quelle paix et à quelles conditions, ils sont bien incapables de le dire, mais ils interviennent toujours dans les débats avec les mêmes éléments de langage que Nicolas Sarkozy : ils demandent invariablement d'arrêter d'armer les Ukrainiens, car ce serait prolonger la guerre et donc les souffrances de ces derniers, et accusent ceux qui veulent aider l'Ukraine d'être des bellicistes.
Il y a aussi environ 80 % des cadres encadrant les militants sur le terrain (des n-2 & n-3), des deux partis les plus à droite (le RN et Reconquête), qui sont pro-russes. Enfin, 90% des influenceurs et intellectuels populaires de gauche et de droite non-progressistes, sont pro-russes. C'est une force de frappe importante qui passe assez inaperçue car elle est essentiellement présente en masse sur les réseaux sociaux et dans les partis politiques. Mais l'on voit son influence dans les sondages, puisque ce sont, dans l'ordre, les électeurs de Reconquête, du RN, LFI (gauche radicale) et LR (droite centriste et gaulliste) qui sont les moins favorables à l'armement de l'Ukraine, ainsi que les jeunes (35 ans et moins). Pour autant, ce parti russe de France, peut-il arriver au pouvoir ?
Vers un gouvernement français de collaboration avec Poutine ?
Cette hypothèse semble assez improbable aujourd'hui, mais demain ? D'abord, elle n'est pas impossible, puisqu'il existe déjà assez d'anciens ministres et dirigeants politiques français pour mettre en place un gouvernement pro-russe en France, et même assez de hauts fonctionnaires. Ensuite, parce que désormais, en cas d'élections, un candidat de droite, s'il veut bénéficier de l'appui des militants qui animent les campagnes sur le terrain, peut difficilement se déclarer en faveur de l'Ukraine. On le voit actuellement avec la campagne des primaires au sein du parti Républicain aux États-Unis. Afin de s'assurer du soutien des militants les plus assidus du parti, de nombreux candidats se sont lancés dans une surenchère de celui qui sera les moins favorables aux Ukrainiens, et donc indirectement les plus favorables aux Russes. Alors certes, le parti russe de France reste pour l'instant minoritaire dans la société française. Mais en même temps, pour les Français, l’Ukraine n'est pas un sujet prioritaire et primordial pour eux.
Surtout, on ne peut pas ignorer que les crises en France sont de plus en plus fréquentes. Elles surviennent de façon de plus en plus rapprochées les unes des autres : « Bonnets rouges », « Nuit debout », « Gilets jaunes », grèves diverses et variées, blocages contre le « saccage de la planète », manifestations contre la réforme des retraites, émeutes urbaines, etc. Or tout le dispositif russe est construit autour de la recommandation de Lénine dans son livre « Que faire », « d'utiliser toutes les manifestations de mécontentement et d'élaborer jusqu'aux moindres éléments d'une protestation, fusse-t-elle embryonnaire ». De plus, les forces politiques pro-Ukraine en France sont constituées par ce qu'on appelle la droite et la gauche de gouvernement, qui sont devenues des forces ultra-minoritaires. Seul reste assez puissant le macronisme, mais ce dernier est programmé pour ne pas survivre à Emmanuel Macron qui, de par la constitution française, ne peut plus se représenter. Pire, les deux seules grandes figures politiques de la gauche et de la droite qui se projettent ouvertement dans l'après-Macron et commencent à organiser leurs troupes sont Mme Royal et M. Sarkozy, qui sont pro-russes.
À tout cela s'ajoute le fait que les Russes sont désormais en capacité de contrôler les couloirs de migration africains et de déclencher par le chaos des vagues migratoires en Méditerranée. Imaginez qu'avant une élection importante, Moscou lance un tsunami migratoire (Les attaques sur la frontière polonaise par la Biélorussie, utilisant des migrants en 2021, nous démontrent que cela n'est pas un scénario de science-fiction). Quels partis en seraient les bénéficiaires ? Ceux qui sont les plus clivants sur le sujet, c'est-à-dire ceux que Moscou infiltre depuis 20 ans de la base au sommet.
Imaginons le scénario du pire. L'Allemagne, confrontée à la faillite de sa politique énergétique, continue de s'enfoncer dans son marasme économique, les industriels allemands pris à la gorge par le coût de l'énergie et une économie chinoise en berne, obligent leur gouvernement à devenir neutre dans le conflit. Ce serait la première brèche dans l’unité européenne et par le pays le plus important de l’UE. Berlin pour ne pas rester isolée, mettrait alors immédiatement en action ses nombreux réseaux d’influence parisiens, notamment dans les médias mainstream et ONG. Au même moment, en France, le pays devient ingouvernable du fait d'un chaos absolu d'émeutes, de grèves et de pression migratoire, qui oblige Emmanuel Macron à annoncer des élections législatives anticipées. Ce dernier, très affaibli non seulement par le désordre qu'il n'aura pas su maîtriser, mais aussi par le fait qu'il ne peut plus se représenter, n'a aucun leader dans son parti en mesure mener une telle campagne. Face à lui, les principales forces politiques seront les partis les moins favorables à l'Ukraine. Dans une telle situation, il y aura une prime pour les candidats qui ont bâti leur image sur l'ordre, tel Nicolas Sarkozy, et rassurant par leur expérience, tel, encore, Nicolas Sarkozy. Ceux qui alerteront sur son positionnement irresponsable sur l'Ukraine, se verront immédiatement rétorqués : « Et les Allemands, ils sont irresponsables et incompétents ? C'est nouveau... ». Tous les « experts » des think tanks pro-russes et leurs hauts fonctionnaires bâtiront un storytelling faisant de M. Sarkozy un homme d'État providentiel. Les influenceurs sur les réseaux sociaux rameuteront tous les bannis du progressisme et les cadres militants de la droite en feront leur héros. L’unanimité des médias de masse en la faveur de l’Ukraine sera brisée par le basculement de l’Allemagne dans la neutralité, un bon quart des journalistes mainstream appelleront à un rapprochement avec Berlin pour « donner une chance à la paix » et loueront le temps du trio Chirac-Schröder-Poutine contre la guerre des Etats-Unis en Irak. En plus de proposer de suivre l’Allemagne dans sa neutralité, je ne serais même pas surpris que M. Sarkozy, « face aux dangers imminents pour la Nation », appelle à un gouvernement d'union nationale avec son ancienne adversaire, Mme Royal, et une nouvelle union européenne très resserrée avec Berlin. C’est le scenario du pire, mais comme le rappelait Raymond Aron « l'histoire est tragique ».
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