À l’origine étaient les « Pères fondateurs » rêvant d’une paix européenne durable à l’issue de la pire guerre de l’Histoire. Le socle de départ du projet revêtit les habits d’un projet d’espace économique commun, nous explique la narration officielle de l’UE. La coopération volontaire d’États souverains dans le contexte d’une reconstruction de l’Europe meurtrie a progressivement évolué, se dotant d’institutions pour optimiser cette collaboration continentale.
En 1992, le traité de Maastricht est signé, donnant ainsi naissance le 1er novembre 1993 à l’Union européenne. L’URSS vient de s’effondrer, la guerre froide a pris fin, Fukuyama parle de la fin de l’Histoire. Malgré la fin des Trente glorieuses et quelques premiers problèmes du fait d’une économie ralentie et d’une immigration extra-européenne qui commence à devenir importante dans certaines villes du Vieux continent, l’espoir d’une paix durable et d’une prospérité généralisée l’emportent.
Les populations des anciens pays du bloc de l’Est rêvent du Lebensstandard allemand, et ils rejoignent l’UE le 1er mai 2004, avec l’idée de venir des membres à part entière, des égaux et des partenaires des grands frères de l’Ouest. Tout semble parfait. Et puis…
Et puis, comme toujours, l’avenir appartient à ceux qui sont capable de rêver en grand, et sur le long terme. À part quelques voix inaudibles, personne ne semble – ou ne veut – réaliser que les signes d’une évolution fédéraliste sont là.
La même année commence la tentative de mettre en place une « constitution pour l’Europe », aussi appelé Traité de Rome II. Un par un, seize pays de l’UE ratifient le traité. Mais fin mai 2005, la France rejette le texte par référendum. La démocratie directe s’oppose pour la première fois au projet de l’Union européenne. Rebelote, une semaine plus tard, les Pays-Bas rejettent également le texte. Parmi les motivations, et c’est une première, la crainte d’une fédéralisation de l’Europe, et donc, in fine, d’une perte totale de souveraineté des nations européennes.
Mais les eurofédéralistes ne s’arrêtent pas là. En 2007, ils reviennent à la charge avec le Traité de Lisbonne, resucée du texte de 2004. Cette fois, on évite la démocratie directe pour se prémunir des déconvenues. C’est que les peuples ne veulent pas toujours du Progrès, mieux vaut donc les habituer à « laisser faire les experts ».
Mais parler à l’époque de fédéralisme européen attire encore la suspicion et l’incompréhension. Des États-Unis d’Europe ? Mais jamais, personne ne veut de ça, qu’elle drôle d’idée… et pourtant, l’idée n’est pas nouvelle.
L’abbé de Saint-Pierre, en 1713, publie Mémoires pour rendre la paix perpétuelle en Europe, où il évoque un « grand projet de l’union des princes chrétiens pour rendre la paix perpétuelle en Europe ». Napoléon, cité par Las Cases dans le Mémorial de Saint-Hélène, fantasme sur une « application du congrès américain, ou celle des amphictyons de la Grèce » pour l’ensemble de l’Europe. « Quoi qu’il en soit, cette agglomération arrivera tôt ou tard par la force des choses ; l’impulsion est donnée, et je ne pense pas qu’après ma chute et la disparition de mon système, il y ait en Europe d’autre grand équilibre possible que l’agglomération et la confédération des grands peuples, » aurait dit l’Empereur déchu.
En 1831, le polonais Wojciech Jastrzębowski, qui a conceptualisé la notion d’ergonomie, décrit un projet d’Europe unie et sans frontières intérieures. À la même période, les publications favorables à la création des États-Unis d’Europe pullulent. Enfin, en 1849, lors d’un discours au Congrès international de la Paix à Paris, Victor Hugo parle lui aussi en faveur des États-Unis d’Europe et popularise ainsi le concept, tout au long de sa vie.
Au XXe siècle, Trotski milite également pour l’idée d’États-Unis d’Europe – qui incluraient la Russie. Durant l’entre-deux-guerres, les fédéralistes s’organisent, principalement autour de Coudenhove-Kalergi et de son Mouvement Paneuropéen. Après la guerre, en 1946, Churchill tient un discours qui fait date à Hertenstein, en Suisse, principal événement fédéraliste d’après guerre. De là, dit-on, et notamment par l’entremise du gendre de Churchill, Duncan Sandys, l’idée fédéraliste prendra la forme d’une union économique et institutionnalisée, avec la création du Conseil de l’Europe.
Fermons maintenant cette parenthèse historique pour revenir à notre histoire proche. Une fois le Traité de Lisbonne ratifié, quelques années se passent sans heurts. Puis, en 2015, c’est la « vague populiste » qui démarre, avec la rébellion des pays du Groupe de Visegrád. Cette fronde est un point de rupture important : les anciens pays du pacte de Varsovie, devant répondre à leurs électeurs, rejettent frontalement le centralisme immigrationniste de Bruxelles.
Rien ne va plus. Ces États membres, dominés économiquement par l’Allemagne, et, ne nous mentons pas, vus comme des pays de seconde zone par les Occidentaux, brisent un tabou et bouleversent l’agenda européiste. Les États-nations existent encore et n’ont pas dit leur dernier mot.
D’abord sonnée, la Commission ne sait comment réagir, d’autant plus que la voix grandissante du V4 trouve un écho favorable à l’ouest parmi des populations exaspérées de ne pas être écoutées sur l’immigration depuis des décennies.
Mais la réponse ne tarde pas. Ce sera « l’État de droit ». Ce concept définit dans aucun traité devient une obsession, sans jamais s’appuyer sur une définition claire et acceptée de tous. Et pourtant, tout comme les mots « démocratie » et « tolérance », « l’État de droit », à force de répétition, devient un totem d’adoration et va servir aux bureaucrates de l’Union pour dépasser leurs prérogatives.
Après des enquêtes grotesquement menées aboutissant à des rapports complètement fallacieux et partiaux, où des opinions et des déclarations de l’opposition sont parfois présentées comme des « preuves de manquement à l’État de droit », le Parlement et la Commission commettent quelque chose de grave : ils outrepassent leurs prérogatives prévues dans les traités. À partir de là, l’Union européenne change de nature.
Orbán a toujours été légaliste et a toujours cherché à respecter à la lettre les traités pour se prémunir des attaques légales – se souciant peu des critiques et des opinions étrangères. Cela a bien fonctionné en 2015 lors de la crise migratoire. Mais cela ne marche plus, précisément parce que la Commission ne respecte plus les traités. Ursula von der Leyen – qui, ironie de l’histoire, a été soutenue dans sa candidature par la Hongrie – est la porteuse d’un changement d’attitude gravissime que trop peu ont relevé.
Le conditionnement de fonds européens dus à la Hongrie sous prétexte de manquement à l’Etat de droit – le tout en revenant unilatéralement sur les conditions quelques mois après des négociations – n’est ni plus ni moins qu’une atteinte directe au droit d’une Etat souverain. Mais, que faire pour la Hongrie, isolée au sein de l’UE pour diverses raisons ? Sans appui d’un autre État, en particulier un État majeur comme l’Allemagne ou la France, la Hongrie se retrouve démunie face aux nouvelles compétences de la Commission européenne qu’elle s’est octroyées de facto. De iure, bien entendu, les États membres sont souverains et ne peuvent pas subir de chantage de la Commission. Mais ce temps est officiellement révolu, avec la complicité des gouvernements de l’UE.
La Hongrie sert donc de laboratoire du fédéralisme bruxellois, qui cherche désormais à modifier le droit de l’UE de manière pernicieuse, en créant un dangereux précédent. Avec ce dépassement de leurs compétences légales, les instances de l’UE se sont dotées du pouvoir d’être coercitives envers des États membres théoriquement souverains. Aujourd’hui, la Hongrie, demain, la Pologne, l’Espagne, la France ?
Nous vivons en ce moment même un changement radical de nature du projet européen, bien qu’annoncé par des faisceaux d’indices que personne n’a suffisamment pris au sérieux. Le tout, sans vote, sans consultation, sans référendum, sans contre-pouvoir. Est-on bien conscients de ce qui est en train de se passer ?
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